
Musique : Dead Can Dance, Album : Within the Realm of a Dying Sun, ou Into the Labyrinth
La chaleur est écrasante en cette journée, et le soleil, nul ne peut s'y tromper, perce quiconque de ses imposants et lourds rayons. Chaque pas est une difficulté, il nous fait nous rappeller combien nous sommes lourds, combien nous devons lutter, combien nous ne sommes rien, en ce bas monde.
L'être avance, laborieusement, lentement, sobrement vêtu d'un drap blanc, dont il se couvre le corps et la tête, cette immaculée blancheur est l'empreinte même de sa sobriété.
Il marche, pieds nus, aveuglément, dans un monde dont il ne connaît que les parfums, les sons et les sensations qui électrisent ses doigts, ici, ou là, ses doigts qu'ils laissent voguer dans l'air, pour effleurer cet environnement si hostile et si attrayant.
Ses mains traînent, flottent, caressent. Elles ne connaissent que ces sentiments manifestes que lui proposent les vieilles pierres qui s'offrent à leur méticuleuse inspection. Tremblantes, timides, elles semblent hésiter chaque instant, chaque mouvement, possédées par la peur de l'inconnu, de ce qu'elles découvriront.
Ce monde lui est aveugle, invisible, nulle lumière ne lui parvient, nulle forme ne se dévoile à son regard, nulle couleur ne lui est connue. Il erre, seul, dans un monde ayant vécu, mais ne vivant plus, sans langage que celui que son corps utilise pour communiquer, celui des sens, celui on ne peut plus naturel, l'ultime.
Il déambule dans cette vieille rue, prenant la plus fine des attentions pour l'endroit où il posera le pied, où il se tiendra, courbé, fatigué. Ses doigts défilent le long des bâtisses qui s'y présentent, ils glissent sur ces vieilles pierres calcaires, froides, blanches sans doute, et s'y rafraîchissent tant qu'ils le peuvent. Il aime cette sensation, tant elle peut être tranchante avec l'ardent commun, dont cet astre l'inonde.
Tantôt, il se laisse emporter, confiant, à accélérer le pas, tantôt il bute, sur des choses que sa mémoire tactile ne lui permet pas de deviner.
- "Quelle est cette chose ?" -
Il survole manuellement ce qui se dresse contre sa main, cet obstacle qui s'élève, inconnu, innommable.
Minutieusement, il décline tous les mouvements que le monde physique lui autorise, il tâte, caresse, frôle, tapote, serre, pousse, tire.
La tête penchée, le corps immobile, il n'est plus que son bras, il reconnaît la signification de ce grain, ce grain si dur, cet aspect rugueux, cet assemblage, dont la chaleur contenue illustre une couleur sombre, foncée.
- "Volet" -
Il poursuit son périple, avide ce qui se tiendra ensuite, il sait déjà. Il s'empresse de se poser contre cette surface lisse, poussiéreuse. Il la ressent, épaisse, close. Il dessine les contours de ses [carreaux].
-"Fenêtre"-
Il entreprend de la nettoyer, par des gestes lents et précis, pour être sur de n'en oublier le moindre recoin. Il l'absoud, comme pour se faire pardonner du pêché de cessité dont il est lui même affublé. Les mains posées, las, il s'agenouille, prie cette bénédiction qui lui est refusée.
Les mouvements de l'air lui échappent, il est sans attention, et ne distingue pas les derniers vestiges de la vie, celle de l'éternelle nature, s'évanouir sur les nombreux replis de sa parure. Silencieusement, elles tombent, frappent, sans effet, tant il savoure cet instant qu'il ne pensait plus jamais vivre. L'être lève la tête, sent le changement d'air, cet onguent du renouveau, et perçoit aussi le froid que chaque chute de cette présence lui apporte.
-"Pluie ?"-
Il constate, aux endroits où les replis sont les moins épais, se coller le tissu à lui, comme une seconde peau, humide, faiblement poisseuse.
"-Eau"-
De trop rares fois, mais pourtant relativement nombreuses, il aurait apprécié de pouvoir y exposer son visage, de vivre cette confrontation, cette purification onirique.
Un temps.
Il se relève, et, décidé, veut en faire le tour, il tient à savoir ce qu'est ce batîment qui le défie. Son méconnaissable visage, derrière son linceul, laisse deviner une excitation certaine.
D'un lêger et rapide parcours, il découvre, non sans une certaine mais indéfinissable surprise, l'entrée, la porte. Avec attention, il passe et repasse cet encadrement. Cette succession de mouvements semble interminable. Il note chaque noeud, chaque imperfection que lui donne ces boiseries, prend un insoupçonnable plaisir à saisir puis lâcher cette lourde poignée.
Il vit ce moment, se déraisonne à penser à toutes ces mains qui l'ont saisie avant lui.
Des enfants, des vieillards, hommes et femmes.
Il entre.
Il est saisi, effroyablement, par ce parfum ambiant, cet encens qui embaume cet endroit.
Figé, il ne peut plus faire un mouvement, laisse les invisibles vagues de cette essence entrer en lui. pour s'en imprégner de la plus délicieuse des façons. Il connaît cette fragrance, il connaît ces effluves.
Intensément, il se remémore les bribes de souvenirs auquel il peut encore accéder. Il retrouve la présence de ces champs de fleurs qu'il a parcourus, dans lesquels il a érré.
-"Tulipe"-
Pris de douce folie, il accélère son pas. Essaie d'enjamber ce qu'il ne voit pas, ne distingue pas. Ce tabouret ? Cette chaise ? Il tâte, vif. Ne touche rien. Discerne sans savoir. Voudrait courir. Bute ici. Se cogne là. Trébuche. Se relève. Sent son coeur. Il bat. Rapide.
Il est chu, sur ce sol froid, et poussièreux lui aussi. Cette sensation glacée se répercute dans tout son corps, dans tout son être. D'un geste, comme pour se relever, il sent le roulement d'une chose. Un bruit qu'il ne reconnaît pas aux premiers abords. Son échine courbée, il se dirige vers la source de ce son, sa curiosité est à son paroxysme.
-"Là"-
Il le saisit, tremblant, vibrant, de peur et d'envie.
C'est là, c'est devant lui, il hume cette senteur, encore et encore. Il sait déjà ce que c'est, il définit cet arôme, c'est douloureux, c'est amer. C'est issu d'un autre temps, d'une autre ère, d'un moment où le monde était monde, avant qu'il ne périsse. Son doigt frêle s'approche, se refuse à franchir ce pas, ce saut qu'il le sépare de ce graal. Puis, d'un geste, violemment, il s'empare de l'objet, et, comme convaincu de la répréhension de son geste, recule sauvagement, semble chercher de l'autre main un endroit où se cacher. La terreur est là, son souffle haletant, sa respiration rythmée. Puis il se rappelle à sa solitude, son unique présence sur ce territoire vide et abandonné de vie, que la mort elle même évite de parcourir à nouveau, de par l'énorme travail qu'elle y a déjà effectué.
-"Pomme"-
Cette saveur sucrée, cette chaire légêrement sableuse, acidulée, ce jus frais et sirupeux, tout lui fait envie comme le dernier des trésors, il lutte, il ne peut s'y résoudre.
Il tient dans la main de l'or, une récompense absolue auquel il ne peut s'abandonner.
Quel désespoir.
L'être se relève, la tête basse. Il se tient au milieu, raide, tendu, drapé de sa blanche parure, on lui devine les formes, et, dans un dégoût morbide de volonté, il renonce.
Tombe la pomme, tombe la larme de sa joue.
Dans cet imperturbable silence, chacun résonne dans un interminable écho, la chute de la pomme comme le tranchant de cet absolu silence, et la larme comme la perturbation de ce vide de sentiment qu'est le monde qu'il arpente.
La pièce est inanimée, baignée par une forte et aveuglante lumière que la fenêtre propre ne filtre pas, l'endroit a sans doute connu sa dernière présence de vie, rien ne subsiste, que le parfum éventé d'une pomme desséchée, et l'odeur rance de quelques tulipes fanées, que le temps aura tôt fait de disperser dans l'air.
La chaleur est écrasante en cette journée, et le soleil, nul ne peut s'y tromper, perce quiconque de ses imposants et lourds rayons. Chaque pas est une difficulté, il nous fait nous rappeller combien nous sommes lourds, combien nous devons lutter, combien nous ne sommes rien, en ce bas monde.
L'être avance, laborieusement, lentement, sobrement vêtu d'un drap blanc, dont il se couvre le corps et la tête, cette immaculée blancheur est l'empreinte même de sa sobriété.
Il marche, pieds nus, aveuglément, dans un monde dont il ne connaît que les parfums, les sons et les sensations qui électrisent ses doigts, ici, ou là, ses doigts qu'ils laissent voguer dans l'air, pour effleurer cet environnement si hostile et si attrayant.
Ses mains traînent, flottent, caressent. Elles ne connaissent que ces sentiments manifestes que lui proposent les vieilles pierres qui s'offrent à leur méticuleuse inspection. Tremblantes, timides, elles semblent hésiter chaque instant, chaque mouvement, possédées par la peur de l'inconnu, de ce qu'elles découvriront.
Ce monde lui est aveugle, invisible, nulle lumière ne lui parvient, nulle forme ne se dévoile à son regard, nulle couleur ne lui est connue. Il erre, seul, dans un monde ayant vécu, mais ne vivant plus, sans langage que celui que son corps utilise pour communiquer, celui des sens, celui on ne peut plus naturel, l'ultime.
Il déambule dans cette vieille rue, prenant la plus fine des attentions pour l'endroit où il posera le pied, où il se tiendra, courbé, fatigué. Ses doigts défilent le long des bâtisses qui s'y présentent, ils glissent sur ces vieilles pierres calcaires, froides, blanches sans doute, et s'y rafraîchissent tant qu'ils le peuvent. Il aime cette sensation, tant elle peut être tranchante avec l'ardent commun, dont cet astre l'inonde.
Tantôt, il se laisse emporter, confiant, à accélérer le pas, tantôt il bute, sur des choses que sa mémoire tactile ne lui permet pas de deviner.
- "Quelle est cette chose ?" -
Il survole manuellement ce qui se dresse contre sa main, cet obstacle qui s'élève, inconnu, innommable.
Minutieusement, il décline tous les mouvements que le monde physique lui autorise, il tâte, caresse, frôle, tapote, serre, pousse, tire.
La tête penchée, le corps immobile, il n'est plus que son bras, il reconnaît la signification de ce grain, ce grain si dur, cet aspect rugueux, cet assemblage, dont la chaleur contenue illustre une couleur sombre, foncée.
- "Volet" -
Il poursuit son périple, avide ce qui se tiendra ensuite, il sait déjà. Il s'empresse de se poser contre cette surface lisse, poussiéreuse. Il la ressent, épaisse, close. Il dessine les contours de ses [carreaux].
-"Fenêtre"-
Il entreprend de la nettoyer, par des gestes lents et précis, pour être sur de n'en oublier le moindre recoin. Il l'absoud, comme pour se faire pardonner du pêché de cessité dont il est lui même affublé. Les mains posées, las, il s'agenouille, prie cette bénédiction qui lui est refusée.
Les mouvements de l'air lui échappent, il est sans attention, et ne distingue pas les derniers vestiges de la vie, celle de l'éternelle nature, s'évanouir sur les nombreux replis de sa parure. Silencieusement, elles tombent, frappent, sans effet, tant il savoure cet instant qu'il ne pensait plus jamais vivre. L'être lève la tête, sent le changement d'air, cet onguent du renouveau, et perçoit aussi le froid que chaque chute de cette présence lui apporte.
-"Pluie ?"-
Il constate, aux endroits où les replis sont les moins épais, se coller le tissu à lui, comme une seconde peau, humide, faiblement poisseuse.
"-Eau"-
De trop rares fois, mais pourtant relativement nombreuses, il aurait apprécié de pouvoir y exposer son visage, de vivre cette confrontation, cette purification onirique.
Un temps.
Il se relève, et, décidé, veut en faire le tour, il tient à savoir ce qu'est ce batîment qui le défie. Son méconnaissable visage, derrière son linceul, laisse deviner une excitation certaine.
D'un lêger et rapide parcours, il découvre, non sans une certaine mais indéfinissable surprise, l'entrée, la porte. Avec attention, il passe et repasse cet encadrement. Cette succession de mouvements semble interminable. Il note chaque noeud, chaque imperfection que lui donne ces boiseries, prend un insoupçonnable plaisir à saisir puis lâcher cette lourde poignée.
Il vit ce moment, se déraisonne à penser à toutes ces mains qui l'ont saisie avant lui.
Des enfants, des vieillards, hommes et femmes.
Il entre.
Il est saisi, effroyablement, par ce parfum ambiant, cet encens qui embaume cet endroit.
Figé, il ne peut plus faire un mouvement, laisse les invisibles vagues de cette essence entrer en lui. pour s'en imprégner de la plus délicieuse des façons. Il connaît cette fragrance, il connaît ces effluves.
Intensément, il se remémore les bribes de souvenirs auquel il peut encore accéder. Il retrouve la présence de ces champs de fleurs qu'il a parcourus, dans lesquels il a érré.
-"Tulipe"-
Pris de douce folie, il accélère son pas. Essaie d'enjamber ce qu'il ne voit pas, ne distingue pas. Ce tabouret ? Cette chaise ? Il tâte, vif. Ne touche rien. Discerne sans savoir. Voudrait courir. Bute ici. Se cogne là. Trébuche. Se relève. Sent son coeur. Il bat. Rapide.
Il est chu, sur ce sol froid, et poussièreux lui aussi. Cette sensation glacée se répercute dans tout son corps, dans tout son être. D'un geste, comme pour se relever, il sent le roulement d'une chose. Un bruit qu'il ne reconnaît pas aux premiers abords. Son échine courbée, il se dirige vers la source de ce son, sa curiosité est à son paroxysme.
-"Là"-
Il le saisit, tremblant, vibrant, de peur et d'envie.
C'est là, c'est devant lui, il hume cette senteur, encore et encore. Il sait déjà ce que c'est, il définit cet arôme, c'est douloureux, c'est amer. C'est issu d'un autre temps, d'une autre ère, d'un moment où le monde était monde, avant qu'il ne périsse. Son doigt frêle s'approche, se refuse à franchir ce pas, ce saut qu'il le sépare de ce graal. Puis, d'un geste, violemment, il s'empare de l'objet, et, comme convaincu de la répréhension de son geste, recule sauvagement, semble chercher de l'autre main un endroit où se cacher. La terreur est là, son souffle haletant, sa respiration rythmée. Puis il se rappelle à sa solitude, son unique présence sur ce territoire vide et abandonné de vie, que la mort elle même évite de parcourir à nouveau, de par l'énorme travail qu'elle y a déjà effectué.
-"Pomme"-
Cette saveur sucrée, cette chaire légêrement sableuse, acidulée, ce jus frais et sirupeux, tout lui fait envie comme le dernier des trésors, il lutte, il ne peut s'y résoudre.
Il tient dans la main de l'or, une récompense absolue auquel il ne peut s'abandonner.
Quel désespoir.
L'être se relève, la tête basse. Il se tient au milieu, raide, tendu, drapé de sa blanche parure, on lui devine les formes, et, dans un dégoût morbide de volonté, il renonce.
Tombe la pomme, tombe la larme de sa joue.
Dans cet imperturbable silence, chacun résonne dans un interminable écho, la chute de la pomme comme le tranchant de cet absolu silence, et la larme comme la perturbation de ce vide de sentiment qu'est le monde qu'il arpente.
La pièce est inanimée, baignée par une forte et aveuglante lumière que la fenêtre propre ne filtre pas, l'endroit a sans doute connu sa dernière présence de vie, rien ne subsiste, que le parfum éventé d'une pomme desséchée, et l'odeur rance de quelques tulipes fanées, que le temps aura tôt fait de disperser dans l'air.
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